L'ange blessé
Du 11/05/2016 au 20/07/2020
Ce film est le deuxième d'un triptyque consacré à la jeunesse kazakh, confrontée à la dureté d'un monde qui ne croit plus en rien (la chute du bloc soviétique a laissé sa marque). Le premier volet, Leçons d'harmonie, nous avait durablement marqués par sa maîtrise et son scénario millimétré. Il racontait l'histoire d'un jeune garçon harcelé et maltraité dans son collège (au même titre que la plupart des autres élèves d'ailleurs puisque cet établissement était le théâtre d'un racket extrêmement bien organisé par tranches d'âges, les petits rackettant toujours pour des plus grands qu'eux…), et qui organisait méthodiquement sa vengeance… Nous l'avions programmé à sa sortie, il y a deux ans, ceux d'entre vous qui l'ont vu ne l'ont à coup sûr pas oublié !
L'Ange blessé n'est en aucun cas une suite – nul besoin de connaître Leçons d'harmonie pour le voir et l'apprécier – mais s'inscrit complètement dans la lignée du premier, tant dans la forme que dans le fond puisqu'il s'attache, là encore, à raconter des destins de jeunes adolescents qui vivent dans un village du Kazakhstan.
Le talentueux Emir Baigazin nous invite à suivre, l'un après l'autre, le parcours de quatre garçons dont les rêves sont rattrapés par une réalité sans pitié… Le chapitrage du film fait de chaque segment une sorte de parabole, mais difficile de savoir si on peut en déduire une forme de morale.
Le premier personnage, Jaras, doit travailler car son père ne trouve pas d'emploi depuis sa sortie de prison. Poussin, le deuxième, travaille sa voix magnifique dans le but de remporter un concours de chant. Il s'astreint à un régime strict, tout en fréquentant les petits caïds du village… Crapaud déambule dans les égoûts et les ruines à la recherche de métaux à revendre. Quasiment cleptomane, il amasse secrètement sa petite fortune et agit de manière presque mécanique pour arriver à ses fins, jusqu'à l'impensable… Quant à Aslan, il étudie avec acharnement pour quitter le village et poursuivre des études de médecine en ville, mais lorsque sa petite amie tombe enceinte, il se réfugie dans un fantasme étrange…
Le film met en image une forme de désespoir, et ce de façon radicale : aucune échappatoire mais le résultat est bouleversant ! Emir Baigazin semble contrôler le moindre élément entrant ou sortant du cadre. Les décors sont sobres et l'environnement déglingué, mais tout est mis en valeur par la force sidérante de la mise en scène. Le son, dans certaines scènes devient entêtant, gênant à l'extrême, mais participe à créer des émotions très fortes. Et l'instant suivant c'est un simple piaillement d'oiseau qui occupera tout l'espace pour un moment d'apaisement… Le jeu des acteurs est volontairement retenu, les dialogues sont rares, très directs et utilitaires mais c'est tout ce dispositif minimaliste qui crée l'émotion. Le film nous attrape sans qu'on s'en aperçoive. Ces gamins sont tous les quatre embarqués malgré eux dans la spirales des mauvais choix… mais ce sont des enfants ! C'est aussi l'histoire d'un monde qui ne sait pas les protéger ni leur donner des perspectives d'avenir.
Héraut magnifique d'un cinéma kazakh qui se fait rare sur les écrans français, Emir Baigazin affirme en deux films une esthétique singulière et saisissante. Son inspiration est sombre, son univers est rude, mais il y a un vrai plaisir de spectateur à découvrir une œuvre de cette qualité, où la forme sert le propos et où le sentiment d'artificialité qu'on peut ressentir au début du film s'efface pour laisser place à la beauté des plans et à l'émotion, car on s'attache évidemment à ces quatre ados et à leur destin bouleversant… Vivement son prochain film !