COUPEZ !
Du 17/05/2022 au 04/07/2022
FILM D'OUVERTURE, HORS COMPÉTITION • FESTIVAL DE CANNES 2022
Encore un bel objet filmique non identifiable et hautement conceptuel que ce remake d’un film d’horreur de 2017, Ne coupez pas, alors bricolé par une bande d’étudiants japonais d’après une pièce de théâtre farfelue. Michel Hazanavicius ajoute une couche au millefeuille, ou plutôt un miroir déformant façon Palais des glaces, tant le résultat aurait sa place dans une fête foraine, berceau du cinématographe, faut-il le rappeler.
Le plaisir réside d’abord dans la construction en trois parties, qui modifie au fur et à mesure la perception du spectateur. La première demi-heure est la plus déconcertante : un assez mauvais film de zombies, tourné en un seul plan-séquence, met en scène une équipe de cinéma à l’amateurisme évident, dont le propre tournage se voit perturbé par le surgissement de vrais morts-vivants… On rit un peu jaune devant le massacre et l’humour noir de cette série Z, sans comprendre la moitié des rebondissements et des dialogues qui oscillent entre ridicule et absurde. Tout s’éclaire avec le premier retour en arrière : désireux de retrouver l’estime de sa fille adolescente, plus cinéphile que lui, un réalisateur de films d’entreprise (Romain Duris dans un de ses meilleurs rôles) accepte de réunir une équipe pour mettre en boîte ce fameux plan-séquence zombiesque, tourné et diffusé en direct sur une chaîne de télévision japonaise. La dernière partie, hilarante, sera le making of du tournage catastrophe : le spectateur passe de l’autre côté du miroir et découvre tous les trucages et les petites histoires cachées.
Ode aux artisans d’un cinéma fauché qui vivent leur travail comme une mission sans se soucier de fabriquer un chef-d’œuvre ou un navet, il se dégage de Coupez ! une joie collective, et communicative. S’il fallait tirer un fil rouge de l’éclectique filmographie de l’auteur, ce pourrait être l’amour inconditionnel - à tendance obsessionnelle - du cinéma, de son histoire et de ses sortilèges qui constitue la matière première de ses films dont il assume pleinement l’impureté de leur statut parodique. Il y eut ainsi la comédie d’espionnage truffée de citations (les deux OSS 117), le film muet anachronique (The artist), le biopic godardien (Le redoutable), sans oublier le téléfilm culte, compilation quasi situationniste de classiques hollywoodiens (La classe américaine). L’art mineur du pastiche potache dépasse aujourd’hui d’une courte tête (tranchée vive, évidemment) tous les précédents et justifie amplement sa place en ouverture du Festival de Cannes.
(D'après Jérémie Couston • Télérama)