MEMENTO

Leonard est amnésique. Enfin, pas entièrement : il se souvient parfaitement de qui il était, de ce qu'il faisait jadis, mais c'est l'instant immédiatement passé qui lui échappe, le quart d'heure précédent. Pour se repérer, il se fait tatouer sur le corps des informations, des ordres stricts auxquels il se conforme ensuite sans trop savoir pourquoi. Il tire également des Polaroïd de ceux qu'il rencontre, des lieux où il passe, et note en légende tout ce que lui dicte son instinct. Dans une sorte de cauchemar éveillé, à la recherche du violeur et meurtrier de sa femme, Leonard avance péniblement vers une vérité qui sans cesse se dérobe.

Le réalisateur fait l'inverse. Il nous assène des scènes bizarres et nous explique ensuite comment les personnages en sont arrivés là. Sil nous donne l'impression d'un chaos permanent, Memento est une mécanique subtile, angoissante pour le personnage, excitante pour le spectateur. Car, bien sûr, le réalisateur joue avec nous ; nous avons d'ailleurs pu constater depuis que Christopher Nolan était un formidable illusionniste. Le procédé consistant à raconter une histoire à l'envers a certes déjà été utilisé ; ici, pourtant, point de psychologie, juste une plongée dans l'inconscient. Entrecoupée des soliloques du héros, cette course-poursuite finit par provoquer un beau vertige. Celui qu'on éprouve devant quelqu'un qui craque – ou a peut-être déjà craqué – et se raccroche à une logique imprévisible.

(D'après Pierre Murat • Télérama)