JEUNESSE (LES TOURMENTS)

De 2014 à 2019, Wang Bing a posé sa caméra dans les ateliers textiles de Zhili, district de la ville de Huzhou, dans la province côtière du Zhejiang. Des rues entières sont consacrées à la confection de vêtements ; s'y entassent des milliers d'ouvriers, issus des zones rurales et venus pour gagner quelques sous en trimant jour et nuit. Nous avions découvert ce décor insalubre dans la première partie de cette ample trilogie documentaire : Jeunesse (le printemps) s'attardait plutôt sur les relations entre les ouvriers et les petits gestes du quotidien. Ce deuxième volet est plus percutant : justement intitulé Les tourments, il dépeint plus précisément les difficultés, les inégalités, les conflits, la violence. Dans cette course à l'argent, chacun défend ses intérêts et les plus faibles sont immanquablement perdants. Les jeunes travailleurs doivent ainsi se battre pour le versement de leur salaire quand les patrons s'enfuient régulièrement avec la maigre caisse. On palabre longuement en fumant clope sur clope pour tenter de s'organiser collectivement, mais chacun sait que les autorités ne leur seront d'aucun secours. Et on se rappelle que les rares tentatives de contestation ont été sévèrement réprimées...

Si l'on retrouve quelques protagonistes de la première partie dans ces Tourments, il n'est absolument pas nécessaire d'avoir vu l'un pour apprécier l'autre : la narration fragmentée mise en place par Wang Bing tient plus de l'assemblage d'instants de vie. Mis bout à bout par un montage particulièrement habile, jouant sur les échos et les résonances, ils dressent un portrait corrosif et désenchanté de la société chinoise. En ouvrant l'horizon à la fin du film, Wang Bing annonce la troisième partie à venir, Retour au pays, que nous sommes déjà impatients de découvrir.